A PARTIR DE 6, 7 ANS, L’ENFANT ABORDE UNE NOUVELLE ÉTAPE DE SON ÉVOLUTION. LA PERTE DES DENTS DE LAIT ET L’APPARITION DE LA DENTITION DÉFINITIVE SONT LES SIGNES D’UNE PROFONDE MÉTAMORPHOSE. A CET ÂGE ET POUR UN CYCLE DE SEPT ANNÉES ENVIRON, DES FORCES VONT ÊTRE DISPONIBLES POUR ÉLABORER DE NOUVELLES FACULTÉS. L’UNE D’ENTRE ELLES, POUR CE QUI EST VISUEL, EST PARTICULIÈREMENT INTÉRESSANTE POUR NOTRE SUJET : LA FACULTÉ D’AFFINER, DE PRÉCISER LA FORME DE NOS IMAGES INTÉRIEURES.
Pour la développer, l’art et la culture du beau seront précieux afin de saisir, de structurer ces forces nouvelles de façon vivante et d’en faire des capacités qui pourront être mises au service d’apprentissages scolaires évolutifs. L’enfant porte en lui un trésor d’images. Une part de ces images intérieures va constituer la matière première qui, en se différenciant, en se précisant dans ses contours et en s’enrichissant, contribuera aux premiers apprentissages. Ces images sont à l’origine des capacités de représentation et de mémorisation.
La pratique des arts, dans les écoles Rudolf Steiner, n’a pas comme but de former de futurs artistes. Comme les soins physiques l’ont fait pour le corps lors des sept premières années, la culture artistique va contribuer à donner forme à la vie intérieure, en se servant de ces nouvelles forces disponibles, tout au long de la deuxième septaine.
La place des arts dans le processus éducatif proposé dans nos écoles est, de ce fait, fondamentale.Dans les premières classes la peinture joue un rôle bien particulier. Elle met en œuvre le mystère de l’image, celui des formes et des couleurs, reflets des nuances de la vie de l’âme.
La peinture et le grand geste des premières classes
Rudolf Steiner attire l’attention sur les deux fonctions différentes de l’œil :
– qui suit les contours des objets, les formes et fait alors le geste du dessinateur,
– ou perçoit les surfaces colorées selon les différences de valeurs entre le clair et le sombre, lorsqu’il devient peintre.
Une différenciation existe entre le domaine de la peinture et celui du dessin.
Dans nos écoles – Rudolf Steiner en parle lors des conseils donnés pour le premier jour d’école, lors de l’arrivée de l’enfant en 1ère classe – ces deux domaines sont tout d’abord nettement distincts, constituant chacun une matière à part entière.
Tout ce qui est trace de mouvement, dessin, graphisme, précision du trait, est travaillé dans une discipline propre aux écoles Steiner-Waldorf: le dessin de forme ou dessin dynamique. C’est un des piliers de l’enseignement dans les petites classes. En revanche, ce qui concerne la couleur et les lois du monde coloré est mis en œuvre dans « le cours de peinture“.
Le domaine de la peinture sera ici principalement celui de la couleur traitée en surface.
La plupart des exercices proposés dans ce cours, dans les trois premières classes, partiront de la couleur pour aboutir éventuellement à la forme.
Au lieu de commencer par un dessin au trait qu’on emplit de couleurs, comme cela se fait souvent par ailleurs, ce qui éloigne l’enfant de son expérience visuelle immédiate (les objets sont rarement cernés de cette façon), c’est du dynamisme de la couleur elle-même, de la force qu’elle contient, répand ou concentre, c’est du sentiment qu’elle suscite que naîtront progressivement la forme et le motif.
Il s’agira alors de considérer le mouvement des couleurs dans l’espace. Pour un petit enfant qui est de façon immédiate dans la perception sensorielle, il est évident qu’un bleu s’éloigne et que le rouge s’approche de lui. L’expérience répétée, l’exercice fréquemment pratiqué et ressenti dans toutes ses variations lui permettra d’enrichir, de cultiver les sensations vécues spontanément.
En cours de peinture, l’éducation artistique proposée dans les écoles Waldorf au cours des premières classes sera dispensée principalement grâce à des exercices guidés, proposés en fonction de ce qui vit dans l’âme des enfants et qui reste la source première. A l’énoncé d’un exercice proposant un questionnement précis en termes de couleurs, chacun pourra répondre par sa peinture de façon judicieuse en même temps qu’originale et individuelle.
Par ailleurs, l’expression d’images personnelles spontanées, riches et nombreuses à cet âge, trouvera également sa place en classe, grâce à la peinture mais aussi au moyen du bloc, du crayon de cire ou de techniques mixtes.
La technique : L’aquarelle sur papier mouillé
Pour ce qui est des moyens employés en peinture, une technique à la fois simple, souple et riche de possibilités nous aide à nous approcher de ce but : l’aquarelle sur papier mouillé (lavis). Travaillée horizontalement, elle rend possible tous les fondus et dégradés, aide, si besoin, à dissoudre les contours trop définis, facilite le rendu régulier en larges surfaces, en taches de couleurs. Grâce à cette technique, l’enfant approche aussi intimement l’élément avec lequel il a une relation intense : l’eau porteuse de vie.
La couleur et l’eau ont un lien originel. Un caillou sec semble terne, alors qu’une fois mouillé, il brille de nuances colorées insoupçonnées. Sur un support humide, la couleur semble vivante, prend toute sa force et se meut d’un mouvement qui lui est propre : le bleu simplement posé sur la feuille mouillée ne réagit pas comme le jaune, par exemple.
La peinture pratiquée dans cet esprit est une aide précieuse pour conserver à l’enfant sa mobilité intérieure, nécessaire à un développement harmonieux.
Une lecture du plan scolaire
En 1ère classe, l’enfant fait l’expérience approfondie de la couleur avec laquelle il est amené à peindre, l’expérience de la rencontre avec cet élément que le maître caractérisera d’abord dans son dynamisme et son mouvement.
Les contes qui servent de toile de fond à cette classe, au travers desquels l’enfant revit le passé de l’humanité, permettent, sans que cela devienne illustration, d’expérimenter le lien existant par exemple entre tel personnage et une tache de jaune rayonnant, entre tel autre et le bleu enveloppant…
Fraîcheur, joie légère et émerveillement s’expriment spontanément dans ces cours hebdomadaires très attendus par les enfants. Des liens profonds entre le monde des couleurs et la vie intérieure naissante s’organisent.
Après les avoir nommées et découvertes dans leurs personnalités propres, l’élève peut affiner sa perception de la rencontre de deux couleurs. On distinguera alors les unions qui ont de la force, comme celle du jaune et du bleu (deux couleurs primaires) et les juxtapositions qui ont moins de caractère, comme celle du jaune et du vert (une couleur primaire et une secondaire). Les accords de deux ou trois couleurs seront pratiqués dans toutes leurs possibilités de variations et de composition. Dans ce cours régulier, les bases du langage des couleurs seront mises en évidence en lien avec l’expérience et la sensibilité des enfants.
Une fois l’exercice terminé et les couleurs sèches, souvent le lendemain, un temps sera pris pour parler des sensations, des sentiments éprouvés devant telle ou telle proposition colorée.
Dans quelle image, par exemple, le rouge est-il le plus brillant du fait de son lien avec telle ou telle couleur ? Dans quelle image apparaît-il plus en relief ? Quelle impression donne ce dégradé de bleu ? Le jaune est-il plus lumineux dans tel environnement coloré ou dans tel autre ? Il s’agit alors de développer, non pas le jugement de valeur sur les capacités des élèves, mais la faculté de ressentir en soi la vie des couleurs, leurs relations entre elles ainsi que la possibilité de les caractériser.
L’image créée par chaque élève sera affichée au milieu de toutes celles de ses camarades. Au cours de la semaine, que de regards d’enfants se tournent vers leurs peintures pour s’en émerveiller, s’étonner, se placer dans le groupe et apprendre des propositions des autres !
La 2ème classe permettra d’approfondir, de préciser ce qui a été abordé l’année précédente et de faire la connaissance de la qualité de sentiment propre à chaque couleur.
L’enfant vit alors davantage au sein d’une dualité qui le rend particulièrement sensible au rapport entre les mouvements de l’âme et les couleurs : un rouge peut-être réconfortant et royal ; le jaune pur et joyeux est si délicat qu’une seule goutte de bleu suffit à le rendre triste et barbouillé tandis qu’un violet mal intentionné peut l’ensorceler.
La couleur est alors identifiée, non seulement à une activité dynamique, mais aux situations morales. Nous proposerons à l’enfant de 2ème classe qu’il expérimente les couleurs comme illustration sourde de ce qui commence à vivre en lui.
Encore tout imprégné du monde ambiant, il ressent à cet âge le besoin d’être actif en complétant toujours un peu les choses qui l’entourent. Il vit particulièrement bien les aventures des animaux qui parlent comme des êtres humains. Les fables et les légendes des saints, dans lesquelles la dualité évoquée est évidente, peuvent aussi être utilisées comme source d’inspiration en cours, sans encore être illustrées à proprement parler.
L’élève, plus confiant vis-à-vis de la technique, commence consciemment et avec un enthousiasme qui surprend souvent un observateur de passage, à créer de nouvelles couleurs en mélangeant des couleurs primaires, ce qui n’avait pas encore été travaillé régulièrement jusque-là.
La quête du sens
En 3ème classe, l’enfant se met, peu à peu, à s’interroger en profondeur sur le sens des choses. Il pénètre alors dans le monde de l’Ancien Testament ; les récits imagés qui lui sont adressés font écho aux évènements qu’il vit intérieurement à cet âge.
En peinture, nous commençons l’année en abordant les grandes images de la Création. Le cheminement au travers des certitudes, mais aussi des doutes, est la conséquence de cette confrontation avec la matière créée. L’enfant est maintenant capable de travailler avec finesse les nuances colorées : les dégradés, le léger, le sombre. Cela permet, si besoin est, et conformément à son vécu intérieur, de créer des ambiances, des accords plus tendus, plus dramatiques ; les personnages de l’Ancien Testament se revêtent du rouge de la colère divine, du bleu du découragement.
Les ténèbres deviennent violet foncé, Tubalcaïn le forgeron est environné de rouge ardent. Au cours de la 3ème classe, l’accord élémentaire et primordial bleu-jaune-rouge, peu à peu, laisse place au sein de l’âme à l’accord vert-orange-violet, plus terrestre, plus mystérieux aussi.
L’enfant quitte le Paradis des couleurs primaires, manifesté avec éclat dans le monde extérieur, pour découvrir un monde plus intérieur et plus secret. La couleur devient activité : à ce moment, on vit avec les enfants ce passage de l’humanité où, comme dans l’Ancien Testament, un peuple en quête de son identité, de son Moi divin part à la recherche de la terre promise.
D’autres périodes de cours montrent parallèlement l’activité des hommes qui travaillent, cultivent et transforment la terre pour y vivre dignement.
Les mouvements intérieurs et les atmosphères s’intensifient et vont permettre de mener davantage la couleur vers la forme par une sorte de densification, de décantation progressive.
Tout ce qui est dessin, ce qui a besoin de détails – les illustrations concernant les métiers, les plantes – ne sera pas délaissé, mais plutôt pratiqué à sec, au crayon de cire. Ajoutons que, dans cette classe, la peinture peut être déjà envisagée par période de 10 à 15 jours.
Entre la 3ème et la 4ème classe, a lieu ce que Rudolf Steiner appelle « le passage du Rubicon“: ce point de non-retour où l’enfant s’engage résolument dans le monde terrestre.
A partir de la 4ème classe, la surface colorée et la forme évoquées plus haut, vont s’unir plus intensément pour donner naissance à des images plus réalistes, tandis que la vie intérieure devient davantage consciente et indépendante du monde extérieur. L’enfant ne va plus autant vivre dans l’imaginaire ; il cherchera à être encore plus en lien avec son environnement.
La question de la ressemblance avec le réel va alors émerger avec force et sera prise en compte dans les cours de peinture.
L’enfant s’incarnant davantage, la démarche artistique dans les arts qui lui sont proposés va se métamorphoser et se diversifier. Il sort peu à peu de l’enfance pour aller vers l’adolescence et la maturité terrestre.
Nous pourrons montrer comment le plan scolaire accompagne cette évolution.
Transmettre des valeurs profondément humaines
Grâce à l’éducation artistique et la pratique d’un art, il est possible d’avoir accès à une part du mystère de la vie de façon personnelle, immédiate, intuitive, de faire l’expérience du lien de l’homme à l’univers. Cette démarche artistique contribue à une compréhension sensible du vivant, de l’humain et à l’ouverture du cœur devant le monde. Le développement de cette sensibilité favorise un sentiment de responsabilité, de gratitude vis-à-vis de la création et d’émerveillement devant la beauté de l’univers.
Enseigner et faire pratiquer l’art aux enfants, c’est cultiver et transmettre des valeurs profondément humaines, comme la créativité, l’harmonie, le respect, le tact, le discernement et la capacité d’agir librement.
Article rédigé par Robert Greuillet, peintre Graveur, Art Thérapeute, Ancien Professeur d’Arts Plastiques en écoles Steiner Waldorf.
Article publié initialement dans la revue 1.2.3 Soleil de l’APAPS
Mis en ligne le 27 Décembre 2016