Le stage forestier consiste pour les élèves de 9ème (3ème de collège) à passer cinq jours à arpenter la forêt et à couper du bois guidés par les connaissances d’un forestier aguerri. L’hébergement a lieu dans une ferme qui pratique l’agriculture biodynamique, agriculture qui maximise les bienfaits nutritionnels de chaque aliment grâce à une écoute singulière de la nature et de ses lois. Nos adolescents passent donc une petite semaine à respirer l’air automnal et vivifiant de la Bourgogne, à manger sainement et à pratiquer des exercices physiques. À l’ère du tout écran, tout béton, tout pollution, ces bases du séjour apparaissent comme des bienfaits précieux.
Mais le stage forestier n’a pas pour but d’être un « parcours de santé », même si c’en est une des vertus. Pourquoi emmener des adolescents de 14 ans dans la forêt en automne ?
L’adolescence : âge du « non » dit-on, âge du repli sur soi, sur ses amis, ses loisirs s’ils riment avec « plaisir ». « Effort » est dissonant, c’est patent.
Malheureusement une telle image est souvent celle que nous avons des jeunes gens qui traversent cette étape si délicate et complexe de l’existence. Alors pour le pédagogue, parent ou enseignant, une question se pose : comment guider l’être qui mue en cet « âge chrysalide » sans se sentir briseur de cocon ?
En automne, les feuilles tombent, la sève glisse dans les profondeurs, la météo est tempétueuse. Cette saison présente beaucoup de points communs avec l’état d’âme de l’adolescent, éternel jeune Werther sur son rocher battu par les vents. Comme l’individu romantique projetait son moi sur le monde, l’adolescent peut trouver un miroir dans tous ces éléments. Les lois de la nature deviennent alors des guides sensibles et parlants.
Dans le dénuement automnal, apparaît l’éclat du bois : l’arbre. L’arbre plante ses racines profondément avant de pouvoir devenir grand. Il met des années pour pousser de quelques centimètres. Les premiers signes sont invisibles car souterrains. Leçon de patience, leçon de persévérance et de réassurance : la fragilité du présent ne préjuge pas d’une absence de forces futures. Le temps est une donnée nécessaire à toute évolution profonde et solide.
Afin de sentir en eux ces vertus à venir, les jeunes gens vont pouvoir éprouver leur courage et leur volonté au contact du bois à couper. Le stage contient des moments de bûcheronnage où il faut manier la hache, la scie, le couteau et se confronter à la dureté de l’arbre. Cette expérience aide les élèves à se saisir d’eux-mêmes à travers leur corps intensément mobilisé. Dans une société où les nombreuses sollicitations déconnectent les individus d’eux-mêmes et entravent la concentration, les élèves tirent de ces exercices des compétences utiles dans tout domaine et de plus en plus recherchées.
Par ailleurs, la biodiversité comme donnée vitale à l’équilibre de chaque essence végétale est un formidable rappel de l’importance de vivre positivement nos singularités et de percevoir celles de l’autre comme nécessaires à notre propre enrichissement, à notre survie même : parce qu’il est différent, l’autre peut compléter ce que je suis et ainsi m’aider à dépasser mes manques, mes épreuves.
À nouveau, le stage donne l’occasion aux adolescents de vivre cette loi. La pénibilité des travaux, la lourdeur d’une bûche de bois leur permettent de percevoir rapidement la nécessité de la solidarité pour parvenir à bout d’une tâche difficile plus efficacement et plus facilement.
Lieu de métaphores vivantes, la forêt est plus que jamais un espace d’apprentissage de la vie. Au cours de leur séjour, les élèves peuvent ressentir dans leur corps la réalité bienfaitrice de ces leçons de sagesse que la nature délivre. Ce ne sont pas des théories moralisantes mais un chemin de vie que celle-ci propose, une vie ouverte, en perpétuelle création, où la main de l’homme a pleinement sa place pour l’accompagner, l’aider à se développer. Celui-ci profite alors de ses richesses, comme autant de dons offerts ou gagnés, en même temps qu’il l’aide à les déployer. Car qui autre que l’humain peut libérer un arbre malade du lierre qui l’étreint ? Qui autre que l’humain peut choisir les essences à rapprocher en bonne intelligence ?
Ce stage est donc aussi un moment où l’adolescent apprend que la main de l’homme, lorsqu’elle est à l’écoute des lois de la nature, peut retrouver sa dignité de créateur. En dialogue avec le vivant, il ne se contente pas de prendre, il peut apprendre et rendre.
Arbre-résistance
Ne plus bouger d’un pouce d’ici
Non tant fidèle à soi qu’à la promesse de la Vie
Accueillir pluie comme vent
Cueillir gelée comme rosée
Fouiller racines et caresser nues
Endurer ouragans et ravages
Perdurer alliance terre-ciel
François Cheng, À l’orient de tout
Article rédigé par un collectif de l’école Perceval
Mis en ligne le 18 Décembre 2017