Pourquoi faudrait-il opposer les activités intellectuelles et les matières concrètes comme s’il s’agissait de deux mondes distincts ? Pourquoi condamner les enfants à s’engager dans l’une ou l’autre voie ? Cette séparation imposée dès la Jeunesse provient d’une conception restrictive de l’intelligence. C’est le propre d’une pensée purement cérébrale que d’être limitée aux seules facultés de combiner et de reproduire des informations. En réalité, pour que l’intelligence devienne pleinement humaine, il faut qu’elle s’appuie sur l’épanouissement des couches profondes de la vie intérieure. La pensée provient d’une lente maturation de la vie volontaire et affective. Lorsque l’être entier de l’enfant est concerné par l’éducation, l’intelligence se développe naturellement sans avoir besoin d’être forcée artificiellement. Elle ne reste plus passive, elle devient même source d’initiative et d’imagination créatrice.
Les écoles Steiner cherchent à réaliser un équilibre vivant entre travail intellectuel, travail artistique et travail manuel. Chacun de ces domaines s’enrichit de l’apport des autres. Sans cet équilibre la formation humaine demeure incomplète. L’enfant ne doit donc pas être spécialisé trop tôt. Le développement exclusif de l’une ou l’autre de ces activités risque d’en faire un être aux potentialités atrophiées.
Le travail manuel joue donc un rôle essentiel car il fait partie intégrante de la formation. La main est même la meilleure éducatrice de la tête et l’habileté des doigts agît sur celle de l’esprit.
En réalité, notre intellect ne se forme pas par un entrainement direct l’homme maladroit de ses mains aura un intellect maladroit, et ses pensées seront moins souples, celui qui sait se servir avec dextérité de ses doigts aura aussi des pensées mobiles qui pourront mieux pénétrer la réalité.
Le travail manuel, lorsqu’il est pratiqué avec soin et régularité, contribue particulièrement à exercer la volonté. Dans le contact approfondi avec la matière, l’élève découvre l’objectivité et la rigueur du travail mené selon les exigences propres au matériau et à l’objet réalisé.
Grâce au jardinage, les enfants apprennent la valeur de la terre et le lien inestimable qui nous relie à elle. Là, mieux qu’ailleurs, ils peuvent percevoir la nature de leur relation à l’univers.
Partout où c’est possible, les enfants fument la terre, la retournent, labourent, sèment, récoltent dans les jardins des écoles. Des séjours à la ferme leur permettent de s’occuper d’animaux, de partager le rythme solaire de la journée et d’éprouver le cycle des saisons.
Dès l’âge de sept ans, filles et garçons apprennent à tricoter. Ils ne le font pas simplement pour développer leur dextérité. Celui qui a appris tricoter enfant sait combien un tel apprentissage a d’influence sur développement de la pensée logique. Ce qui paraît paradoxal n’en fait pas moins partie des choses intimes de la vie !Dans les classes suivantes, les enfants apprennent à tisser et à filer. Ils découpent, montent et cousent ensuite des vêtements. Entre autres enseignements1 le tissage habitue le jeune adolescent à la constance et à la patience dans le travail.
A douze ans, il s’initie au travail du bois en atelier. C’est un moment pédagogique important: le corps physique grandit, notamment le squelette. Un enfant perd cette harmonie naturelle des gestes propre aux plus jeunes. La volonté et le geste ont besoin d’être exercés par un travail qui demande précision et attention. Le travail du bois exige justement maîtrise et finesse pour canaliser les forces de mouvement et les aider à s’harmoniser. Le bois vit et se transforme. Travailler ce matériau ne développe pas seulement l’adresse manuelle : en raison des processus de retrait de matière, la sculpture du bois impose des gestes mesurés. La taille est irréversible et la sanction d’une maladresse immédiate.
Par son inscription dans la durée, cette activité oblige à une perception de l’objet dans son devenir. Il faut ressentir les veinures, adapter, corriger sans cesse ses gestes. Les enfants fabriquent
D’abord des objets simples, puis en viennent à des réalisations de menuiseries aux assemblages élaborés: coffret, meubles, jouets … L’habilité manuelle sert maintenant une activité réfléchie. La pensée concrète est capable de concevoir le travail jusqu’au moindre détail.
C’est aussi le cas pour le travail du cuivre, du fer forgé, du cartonnage et de la reliure que découvrent les grands élèves.
Article rédigé par Raymond Burlotte en collaboration avec un groupe de professeurs et de parents de l’école perceval
Texte publié initialement dans le livret “L’école Steiner, Une Pédagogie pour Aujourd’hui”
Mis en ligne le 27 Décembre 2016